
A la fin des années 90, FERISTAN, avait révélé Philippe Boutin au grand public en remportant le classement général du Grand National du Trot. Un cheval attachant, doté d'une classe folle mais également d'un caractère en acier trempé comme le sont les vrais champions. Disparu prématurément en 2000, à un mois d'une participation au prix d'Amérique qu'allait remporter Varenne, le petit trotteur à la robe toute noire a laissé un grand vide dans le coeur de son mentor. Mais huit ans plus tard, Philippe Boutin n'a rien perdu de sa verve ni de sa rage de gagner. Installé entraîneur public depuis la fin de l'année 2006, nous l'avons rencontré afin qu'il nous en dise un peu plus sur lui et ce nouveau départ.
Philippe, comment êtes-vous arrivé
dans le monde hippique ?
Grâce à mon père,Albert, qui possédait un trotteur
et qui a remporté plusieurs épreuves dans la catégorie
des amateurs. C'est à son contact que j'ai
pris le virus des courses. Le dimanche, c'était soit
les courses de chevaux, soit les courses cyclistes
car mon père courait là aussi en amateur. Ayant
goûté également au vélo, j'ai finalement opté pour
les trotteurs.
Votre maître d'apprentissage fût
Gérard Delaunai. Une bonne école ?
Natif de Rochefort sur Loire en Anjou, je suis entré,
à l'âge de 15 ans, au service de Gérard Delaunai,
installé près d'Angers, à Soulaire et Bourg où est
désormais basé Jean-Marie Monclin. Bien sûr, ce
fut une très bonne école. Très enrichissante. Je
peux même dire qu'il m'a tout appris. J'ai gagné
ma première course (à St-Ouen-des-Toits) au
monté à l'âge de 16 ans avec un cheval qui s'appelait
Klenze. C'était mon premier partant. Je suis
passé professionnel le dimanche de Pâques 1987
en réalisant un doublé à l'attelé ce jour-là sur l'hippodrome
de La Rochelle. J'y suis resté cinq ans jusqu'à
mon service militaire et au total, j'ai remporté
une cinquantaine de succès pour la maison
Delaunai dont 35 au trot monté.
C'était l'époque d'Ophioglosse dont
vous étiez le lad…
Il y avait de très bons chevaux chez Gérard à ce
moment. C'était le temps de Luth Barbès,
Navaroso, Ovatus et bien sûr Ophioglosse. Un
super cheval.
Ensuite, vous changez d'horizon.
Direction la Bretagne et le Morbihan,
chez Pierre Leforestier et l'Elevage des
Niel à Pontivy. De bons souvenirs là
aussi ?
Après l'armée, j'ai arrêté le métier 6 mois. Un jour,
je retourne aux courses aux Sables d'Olonne et par
l'intermédiaire de Jean-Marie Monclin, je suis
contacté par Pierre Le Forestier qui me propose de
devenir l'entraîneur particulier de l'élevage des
Niel. Après mûre réflexion, je décide d'accepter sa
proposition. C'était un drôle de challenge qui m'attendait
car outre l'entraînement, il fallait s'occuper
de l'élevage et du débourrage. De l'élevage des
Niel est sorti le champion Voici du Niel, lauréat d'un
prix de Cornulier mais je n'ai pas eu la chance de
m'occuper de lui car il avait été vendu yearling
juste avant que j'arrive. J'ai tout de même eu de
bons chevaux là-bas tels que Sage du Niel, Texan
du Niel ou Ami du Niel mais je m'occupais de plus
en plus d'élevage ce qui n'était pas vraiment mon
domaine préféré car c'est avant tout l'entraînement
et la compétition qui me passionnaient aussi
nous nous sommes quittés en très bon terme au
bout de quatre ans.
Arrive alors une date importante dans
votre parcours professionnel : 1992.
Vous devenez l'entraîneur particulier
de l'Ecurie Derby.
J'ai passé une annonce dans la presse en septembre
92 et Gérald Proust m'a contacté car il
cherchait un jeune entraîneur particulier pour s'occuper
de l'Ecurie Derby qu'il venait de créer, à
Chanceaux sur Choisille en Indre-et-Loire. Tout
était à faire. J'ai mis la main à la pâte et j'ai fait le
manoeuvre pour monter les parpaings afin que les
installations soient finies plus vite…(rires). Dès la
première année, la réussite est au rendez-vous
avec 17 victoires dont deux dans la capitale avec
un petit effectif de 8 chevaux. J'ai gagné ma première
course pour l'écurie le 31 mai 1993 avec
Bison de la Chaise à La Rochelle. L'histoire était
lancée.
Avec la casaque rouge, coutures
noires, vous allez connaître de grandes
joies. BOUFFEE DU NIEL (la mère de
Novak du Plessis), CYRIL DE LA CHAISE,
CUPIDON DE MAI, HERMES BEAUTIFUL,
FLASH GALA entre autres et
bien sûr FERISTAN vous offriront de
nombreuses victoires en région parisienne.
Bien sûr. Bouffée du Niel (que j'ai fait naître chez
Pierre Leforestier et que j'ai ramené dans mes
bagages à l'écurie Derby) qui a gagné 9 victoires
lors de ses douze premières courses avant de
connaître des ennuis de santé, Cyril de la Chaise 7
fois lauréats au monté à Vincennes ou encore
Cupidon de Mai avec qui j'ai gagné ma première
victoire à Vincennes en tant que driver, ont tous
très bien gagné leur avoine. Ensuite, il y eut
Hermès Beautiful avec qui j'ai couru le Critérium
des Jeunes puis Flash Gala (avec qui je suis allé
courir en Norvège, en Russie…) et Féristan qui
m'ont permis de remporter plusieurs Quintés+.
FERISTAN vous révélera au grand
public en remportant le Grand
National du Trot en 1999. Une belle
aventure et de grands souvenirs, non ?
Evidemment. Féristan m'a donné beaucoup de
plaisir.Avec lui, j'ai gagné plusieurs étapes du GNT,
remportant le classement général aux points et
terminant également en tête du challenge des
entraîneurs. C'est à la fois mon meilleur souvenir
mais également le pire…car il disparut prématurément
en novembre 2000, à quelques semaines
d'une participation au prix d'Amérique.
L'après FERISTAN fut-il difficile à
gérer ?
Après Féristan, il y eut une période de flottement.
J'ai perdu la motivation car on ne se remet pas
facilement d'un coup dur pareil. Et je ne parle pas
là du côté économique mais affectivement, ce fut
une rude épreuve. J'ai connu tellement de grands
moments avec lui… On avait encore des choses à
faire ensemble. J'aurai bien aimé courir le prix
d'Amérique avec lui. Nous n'aurions pas gagné,
c'est certain mais être au départ, cela aurait déjà
été une victoire pour un artisan comme moi… A
l'époque, l'Ecurie Derby avait plus de 25 chevaux à
l'écurie et nous avons sans doute perdu du temps
avec des chevaux qui n'en valaient peut-être pas
la peine. On était trois à l'écurie, il y avait beaucoup
de travail et lorsque la motivation est moins présente,
les résultats ne suivent pas. C'est à cette
période que je me suis remis en question et que j'ai
changé mes méthodes de travail. Peu à peu, l'envie
est revenue et les satisfactions aussi avec des
chevaux comme Hameau de Chenu, Idem de
Chenu ou Jallie de Chenu, tous gagnants à Paris.
En septembre 2006, vous êtes passé
entraîneur public mais vous êtes resté
installé au même endroit. Tout en
conservant les chevaux de l’écurie
Derby, vous avez désormais d’autres
propriétaires. Quelles ont été vos motivations
pour franchir ce nouveau cap ?
Gérald Proust, approchant de la retraite, souhaitait
réduire son effectif. D’un commun accord, nous
avons décidé cette nouvelle orientation. De plus,
des propriétaires voulaient me confier des chevaux
tout en tenant à les voir courir sous leurs couleurs.
J’ai donc passé ma licence d’entraîneur public et je
suis resté en location dans les installations que
j’occupe depuis 1992.
Combien de chevaux avez-vous à l’entraînement
?
J’ai 16 chevaux à l’entraînement. L’écurie est pleine.
Je n’en veux pas plus pour le moment. J’ai un
apprenti Rudy Picard pour m’épauler, qui court
dans les deux spécialités.
Un mot sur vos installations. La piste,
les paddocks, les boxes…
J’ai 16 boxes, tous pleins. 12 paddocks et une piste
de 750 mètres avec une ligne droite de 200 mètres.
La piste était en mâchefer au début. Désormais,
elle est constituée de 50% de sable rose (des carrières
de Thouars), de 20% de mâchefer, de 20% de
résidus de plastique et de 10% de sable de Loire.
J’en suis très satisfait.
Parlez-nous de vos méthodes d’entraînement,
de préparation.
Comme je vous le disais tout à l’heure, j’ai revu mes
méthodes d’entraînement après l’ère Féristan, opérant
également un changement dans l’alimentation.
Ma technique de travail est principalement
axée sur la longueur, sur le fond. Je ne fais pas d’intervalles.
Ma piste ne s’y prête pas car je n’ai pas
une ligne droite assez longue pour cela.
Néanmoins, je dois adapter mon travail en fonction
des aptitudes de chaque cheval, pas le contraire.
Avez-vous un modèle dans le métier ?
Gamin, j’admiraisAlain Sionneau qui était un grand
jockey monté à l’époque. Plus tard, je lui ai dit
d’ailleurs. Je crois que cela lui a fait plaisir.
Aujourd’hui, je n’ai pas vraiment d’exemple. Bien
sûr, un professionnel comme Jean-Michel Bazire
est hors norme. On ne peut qu’être émerveillé par
son travail et sa réussite. Maintenant, il ne faut pas
chercher à le copier, c’est impossible.
Quels sont vos hippodromes préférés ?
En province, j’affectionne Machecoul où j’ai souvent
une belle réussite. La Rochelle aussi. A Paris,
je préfère Enghien plutôt que Vincennes. Comme
je pratique souvent la course d’attente, la piste du
Plateau de Soisy s’adapte mieux à cette tactique.
Vous passez beaucoup de temps sur les
routes, notamment l’été où il est fréquent
de vous voir sur la Côte
Atlantique lors des meetings des
Sables d’Olonne ou de Pornichet par
exemple. Vous n’hésitez pas également
à “descendre” dans le midi à
Toulouse ou Agen. Les kilomètres ne
vous effraient pas ?
Pour une petite écurie comme la mienne, il faut
aller chercher l’argent là où il est. Trouver les engagements
les plus favorables quel que soit l’hippodrome
et la région, tout en jaugeant l’opposition.
Avec Korrigane Carnoet par exemple, je suis allé un
peu partout dans l’hexagone avec une très belle réussite. Avec elle, j’ai gagné à Pontchâteau,
Amiens, Lyon, Toulouse, à Paris…et aux Sables
d’Olonne où elle est restée tout simplement invaincue
en 5 tentatives. S’il faut aller à Toulouse pour
un bon engagement, et bien, j’y vais. Peu importe
alors les kilomètres.
Quelles sont, selon vous, les choses les
plus difficiles ou contraignantes dans
votre métier?
Pour faire ce métier, il faut être passionné. Sinon, ce
n’est pas la peine. On passe plus de temps dans le
camion où sur la piste qu’avec sa famille. C’est vrai
que ces dernières années, je n’ai pas pris beaucoup
de vacances. Depuis mon voyage de noces
en novembre 2005, je n’ai pas dû passer plus de
trois jours loin de mes chevaux…Il faut cependant
bien faire attention à garder un certain équilibre
afin de ne pas voir la passion s’éteindre…
Heureusement, ma femme travaillant également
dans le secteur des animaux,me comprend parfaitement
et me soutient.
Je voudrais également signaler que le métier
devient de plus en plus dur et que pour les petites
voire les moyennes écuries, cela sera de plus en
plus difficile de joindre les deux bouts. Les instances
dirigeantes baissent les temps des qualifications
pour les poulains et ces derniers en font les
frais. On doit s’adapter, travailler les chevaux plus
durement, plus rapidement car on n’a plus le
temps de les attendre. J’adore façonner des chevaux
pour le trot monté mais je ne peux plus le
faire comme avant. Il y a de plus en plus de
“casse”. Les chronos s’affolent. C’est une spirale
infernale. Auparavant, avec un cheval moyen, on
parvenait tout de même à prendre 10 000 euros.
Aujourd’hui, avec les mêmes, on arrive à peine à 4
000 euros. Cela devient de moins en moins rentable.
Il faut bien faire tourner l’entreprise et la
sélection est impitoyable. C’est comme pour les
ventes. Cela devient compliqué d’acheter des chevaux
pour des sommes raisonnables. Les prix ont
doublé. Et bien sûr, comme dans beaucoup
d’autres secteurs, les charges sont bien trop
lourdes à assumer.
Vous semblez porter un regard bien
pessimiste sur l'avenir de votre profession
?
Réaliste en tous les cas. J’ai bien peur que bientôt
beaucoup d’écuries ne commencent à “tirer la
langue” et pas seulement les plus modestes. Il n'y
aura que les grosses maisons qui pourront s'en
sortir. Je ne m’avance pas trop en disant que je
parle au nom de bon nombre de mes confrères.
Avez-vous des objectifs
professionnels ? Un rêve ? Un but ultime
?
J’avais l’ambition de gagner le Grand National du
Trot. Je l’ai fait avec Féristan. Un rêve…disons
peut-être de remporter un semi-classique pour
Gérald et l’écurie Derby. Ne dit-on pas que les
rêves sont faits pour se réaliser…
Parlez-nous un peu de votre petite
famille…
Je suis marié à Iseult qui m’a donné deux garçons.
L’aîné à 14 ans et le petit dernier 4 ans. Je suis
comblé de ce coté-là.
Quels sont vos loisirs en dehors des
trotteurs. Des passions ?
Mon métier ne me laisse pas beaucoup de temps
libre. Cependant, j’ai toujours adoré le cyclisme.
Cela remonte à mon enfance. Malgré tout le tapage
autour du dopage ces dernières années, je suis
toujours resté fidèle à ce sport et demeure en
admiration devant les coureurs. Je suis donc les
épreuves cyclistes et le Tour de France de près.
J’aime également jouer au billard, cela me détend.
Enfin, mon péché mignon reste de déguster une
bonne bière de marque le soir après le travail. Une
bonne bière que mon épouse me choisie.
Le rendez-vous est pris. Merci Philippe.